Le Canard enchaîné : « Raphaël Meyssan a choisi l’efficacité dépouillée d’artifices. L’élégance, aussi »

Sorj Chalandon signe une belle critique du film Les Damnés de la Commune dans Le Canard enchaîné du 17 mars 2021.

Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter

Le Paris des fusillés

Entre les mois de mars et mai 1871, il a été décidé que les loyers parisiens non payés depuis six mois pour cause de pauvreté ne seraient plus dus. Et les poursuites concernant les échéances en retard suspendues aussi. Trois ans sont désormais accordés pour le règlement des dettes. Est proclamée la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’union libre est reconnue. L’école est déclarée laïque et gratuite. Les signes religieux sont enlevés des salles de classe. L’instruction des filles est à l’étude. L’égalité des salaires entre les hommes et les femmes désormais envisagée. La citoyenneté française est ouverte aux étrangers. La journée de travail dans certains ateliers est réduite à dix heures. Le travail de nuit des boulangers est supprimé. Les retenues sur salaire sont interdites. Un salaire minimum est instauré. La liberté de la presse est garantie. C’était la Commune de Paris. C’était il y a cent cinquante ans.

Pour raconter les 72 jours de cette insurrection populaire et la mise en place d’une éphémère république sociale, qui a marqué à jamais l’histoire de France, Raphaël Meyssan a choisi l’efficacité dépouillée d’artifices. L’élégance, aussi. Ni reconstitution pesante ni doctes spécialistes, mais des gravures d’époque. Des documents exhumés de livres et de journaux du XIXe siècle, animés avec délicatesse : le vol d’un oiseau, les lueurs de l’incendie. Et portés par les voix de 10 grands comédiens, de Yolande Moreau à Simon Abkarian. Le fil très rouge de ce documentaire magnifique, « en hommage aux révoltés de la Commune », s’appelle Victorine Brocher, 38 ans. Une piqueuse de bottines devenue cantinière au 17e bataillon de la Garde nationale. Son témoignage nous entraîne à travers ces journées admirables, tragiques et désespérées. « Les Misérables » au cœur, portée par les personnages de Victor Hugo, Victorine se faufile dans la ville en colère. L’armée française a été défaite à Sedan. Napoléon III s’est rendu, avec 80 000 hommes. Les « Allemands » – c’est désormais comme ça qu’on appelle les Prussiens – encerclent Paris. Ils veulent l’Alsace, la Lorraine, 5 milliards de francs-or. « C’est l’Empereur qui a perdu la guerre, pas la France !!! » hurlent les Parisiens. Georges Clemenceau, le maire du XVIIIe arrondissement, les encourage à la résistance, alors que le gouvernement « traître » veut signer l’armistice avec l’ennemi. Victorine court sous la mitraille, de Belleville à Montmartre, derrière le drapeau rouge du bataillon des Enfants perdus. Son fils est mort de la misère. Son mari, tombé les armes à la main. Comme les pauvres, elle mange du rat pendant le siège de Paris, tandis que des bourgeois se partagent l’éléphant du Jardin des plantes. Autour d’elle, les compagnons sont fauchés les uns après les autres. Les Communes révolutionnaires de Marseille, Lyon ou Narbonne sont réduites par les versaillais. Des gavroches meurent sur les barricades. La révolte des gueux est écrasée par le gouvernement de Thiers. Partout, la troupe impériale exécute les prisonniers. A la fin de la Semaine sanglante, le 28 mai, il y a des milliers de cadavres dans les rues. « Une histoire dont il faut prendre soin, qu’il faut protéger et transmettre », nous murmurait, hier, l’ouvrière communarde.

Sorj Chalandon

Les Damnés de la Commune, le 23/3 à 20 h 50 sur Arte. Et, en version papier, le coffret de 3 albums illustrés, Editions Delcourt, 485 p., 71,95 €.