L’Obs : « Raphaël Meyssan a choisi de plonger le spectateur sur le pavé parisien, entre liesse populaire et barricades »

Anne Sogno signe une belle critique du film Les Damnés de la Commune, dans L’Obs du 23 mars 2021.

Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter

La cause du peuple

Avec Les Damnés de la Commune, adaptation réussie de sa série graphique, Raphaël Meyssan redonne vie à la France insoumise de 1871.

La Commune ? Soixante-douze jours d’insurrection populaire née du trop plein de misère dans une capitale remodelée pour les riches par Napoléon III et le baron Haussmann et d’un rêve de justice sociale qui se solderont par le massacre de la « semaine sanglante ». Cent cinquante ans après, alors qu’on s’apprête à commémorer cette révolution singulière, référence historique pour les mouvements libertaires et la gauche française, il en est encore – l’historien et éditeur Pierre Nora au micro de France Inter le 4 mars – pour balayer l’épisode d’un revers de main. Sous le prétexte que ce grand souffle démocratique et populaire n’aurait « pas apporté grand-chose à la construction de la République ». Proclamée le 28 mars 1871, la Commune de Paris aura pourtant expérimenté pendant sa courte existence des réformes en grande partie reprises à son compte par la IIIe République : réduction de la journée de travail, salaire minimum, gratuité de l’école, reconnaissance de l’union libre, égalité hommes-femmes, séparation de l’Église et de l’État, démocratie participative… Excusez du peu !

En adaptant son roman graphique éponyme (éditions Delcourt) paru en trois volumes et composé avec originalité de milliers de gravures parues à l’époque, Raphaël Meyssan a choisi, pour faire vivre son récit, de plonger le spectateur sur le pavé parisien, entre liesse populaire et barricades, plutôt que de s’appesantir sur les avancées sociales nées de l’ébullition démocratique. « Quand on relate la Commune, on raconte l’histoire par en bas, celle des petites gens, issues de Belleville ou de Montmartre. Cette révolution, c’est d’abord une épopée collective. Le film rend hommage à ces milliers d’inconnus prêts à mourir pour la justice sociale », explique l’auteur. De ce point de vue-là, c’est réussi.

Victorine Brocher, dont les Mémoires ont bouleversé Raphaël Meyssan, en sera l’incarnation. Portée par la voix rocailleuse de la comédienne Yolande Moreau, Victorine raconte « sa » Commune. Grandie dans la nuit du second Empire au pied de la butte Montmartre, la jeune mère travaille de douze à quatorze heures par jour pour un salaire dérisoire afin de nourrir son jeune fils et pallier l’alcoolisme de son mari. Elle a déjà fait tous les métiers : porteuse de pain, crieuse de journaux, marchande de soupe ou lavandière. Lorsque le conflit avec la Prusse tourne au fiasco et que l’Empire s’effondre, la République est proclamée. Mais le gouvernement provisoire décide de négocier la paix avec les vainqueurs. Dans la capitale assiégée où l’on se nourrit de rats et de chiens, le peuple refuse de se rendre. Victorine s’engage comme cantinière puis comme ambulancière, non sans mal. « La défense de la patrie est une affaire d’hommes », note-t-elle, de même qu’elle déplore que les salaires des hommes soient supérieurs de moitié à celui des femmes. Le 26 mars 1871, jour de l’élection de la Commune de Paris, elle regrette de ne pas pouvoir voter : « Encore une fois, je reste à la porte de cette journée historique. »

Eugène Varlin, ouvrier typographe élu, n’aura pas eu le temps de mettre en œuvre son projet d’égalité hommes-femmes. Au bout du rêve, Victorine verra son petit garçon dénutri mourir sous ses yeux, enjambera des centaines de cadavres pour tenter de retrouver sa mère dans la terrible débâcle de la « semaine sanglante » et finira, déguisée en jeune garçon, par rejoindre la Suisse. Avec son compagnon, elle adoptera plusieurs orphelins de la Commune et mettra un point d’honneur à leur transmettre l’histoire des damnés ». Pour que son héritage reste vivant à jamais.

Anne Sogno