Focus littérature : « L’utilisation des gravures permet de remettre la Commune de Paris dans son contexte »

Une critique du tome 1 des Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan, le 20 décembre 2017

Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter

Il aura fallu six ans à Raphaël Meyssan pour réaliser cette BD dans laquelle il n’a fait aucun dessin. Chaque case est en effet issue de gravures parues dans des livres et journaux du XIXe siècle. Un travail colossal de numérisation et d’organisation pour faire des décors et des personnages de ces gravures des éléments concrets de l’histoire. Une histoire qui débute de nos jours à la Bibliothèque historique de la ville de Paris. Meyssan tombe sur un document qui parle d’un communard du nom de Lavalette ayant vécu à l’adresse de l’immeuble où il habite, à Belleville. À partir de cette information, l’auteur va chercher à retracer le parcours de son lointain voisin et découvrir sous un jour nouveau les événements ayant conduit à la révolution de 1871.

J’ai trouvé cet album passionnant. Certes, le lecteur ne peut qu’être désarçonné par la forme au départ. Mais très vite on constate qu’il n’y a rien d’artificiel dans l’utilisation des gravures. Leur agencement donne le rythme de la narration, narration qui respecte pour le coup tous les codes de la bande dessinée.
L’enquête, riche de centaines d’heures passées aux archives, riche de déconvenues, de fausses pistes et d’un brin de chance, montre que Lavalette est catalogué comme activiste fauteur de trouble par les forces de l’ordre. Cependant, bien peu de traces de lui subsistent suite à la destruction des archives de la police durant la Commune. Difficile d’établir son véritable état civil, difficile de connaître son métier et son rôle dans la révolution.

Mais à force d’abnégation, Meyssan parvient à dresser le portrait pas toujours reluisant d’un homme qui n’aura cessé de le fasciner. En parallèle les gravures illustrent le témoignage bouleversant de Victorine B., une parisienne vivant avec mari et enfants dans la misère la plus totale au cœur de Montmarte au moment où les barricades sont dressées par la population. Le chevauchement des histoires de Lavalette et de Victorine offre à la fois de la puissance et une véritable cohérence à l’enquête menée par l’auteur.

Rien n’est inventé, ni dans les faits relatés, ni dans la chronologie des événements. Évidemment le propos souligne une prise de position engagée en faveur des rêves de justice sociale portés par les acteurs de la Commune, ces hommes, femmes et enfants morts pour défendre un idéal auquel ils ont cru jusqu’au bout. Mais la réalité historique n’est à aucun moment déformée dans le sens de cet engagement. Et au final, l’utilisation des gravures permet de remettre la Commune de Paris dans son contexte, avec les matériaux graphiques de l’époque, révélant ainsi la vision que cette époque avait d’elle-même. Tout simplement fascinant !

(Lire la critique sur Les Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan sur « Focus littérature » du 20 décembre 2017 et sur le blog de l’auteur « D’une berge à l’autre »)