Le Courrier picard : « Un brillant travail historique détaillé, vivant et accessible à tous »

Une belle critique des Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan par Daniel Muraz, le 27 mars 2020

Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter

La Commune n’est pas morte avec les Damnés de Raphaël Meyssan

Il y 149 ans, le 28 mars 1871, la Commune de Paris était proclamée. Il y a huit ans, Raphaël Meyssan, graphiste parisien découvrait qu’un communard, Lavalette, avait vécu dans son immeuble de Belleville, au 6 rue Lesage. Ce fut le départ d’une minutieuse enquête et le début d’une magnifique trilogie, désormais achevée depuis la fin de l’année dernière.

Pour parvenir à cerner ce Charles Lavalette, gazier et membre du comité central de la garde nationale sous la Commune, Raphaël Meyssan se plonge dans les archives municipales, celles de la police, dans Le Maitron (le dictionnaire du mouvement ouvrier). Il croise aussi ses recherches avec le livre-témoignage de Victorine Brocher, autre témoin et participante à l’événement. À travers ces deux personnages, c’est tout un pan d’histoire – largement méconnue aujourd’hui – qui émerge.

Pour comprendre et faire comprendre la suite d’événements qui ont amené à la Commune, le livre revient sur la fin du IIIe empire, la tentative de Louis-Napoléon Bonaparte de faire oublier ses difficultés intérieures par une bonne vieille guerre contre la Prusse. Un fiasco retentissant achevé par la reddition des armées françaises à Sedan, puis la proclamation de la République, le 4 septembre 1870 déjà par l’intrusion du peuple parisien. Mais alors que la capitale est a moitié cernée par les Prussiens et contre l’avis populaire, le gouvernement provisoire et la majorité de l’Assemblée acceptent de négocier avec l’occupant. Première trahison qui sera suivie, après le terrible hiver 1870, par l’incident qui mettra définitivement le feu aux poudres : la décision par le gouvernement d’Adolphe Thiers, reflet du “parti de l’ordre” et réfugié à Versailles, le 18 mars 1871, de récupérer les canons de la garde nationale parisienne. C’est le début de l’insurrection – à laquelle Lavalette va prendre sa part. Dix jours plus tard, la Commune est donc officiellement proclamée à l’Hôtel de ville. Et avec elle une série de mesures résolument progressistes, voire révolutionnaires. Et l’exemple parisien commence à faire école, à Lyon, Grenoble ou Marseille, avant d’être vite réprimé. Paris, isolé, tiendra soixante-douze jours, entre expérimentation politique, tensions croissantes et résistance désespérée jusqu’à la “semaine sanglante” de fin mai. Lavalette et Victorine, chacun à sa manière, vont être au cœur de tous ces événements, à la fois à l’avant-plan et dans les coulisses de l’histoire. De l’insurrection à l’hôtel de ville jusqu’à la bataille sanglante du fort d’Issy. Toujours présents avec leurs émotions et leurs ambiguïtés aussi, que Raphaël Meyssan éclaire progressivement au fil des trois tomes.

« La Commune de Paris inspire décidément des chefs-d’œuvre »

La Commune de Paris inspire décidément des chefs-d’œuvre. On songe à la magnifique chanson de Jean Ferrat et, en bande dessinée, à l’adaptation du roman de Jean Vautrin par Jacques Tardi Le Cri du peuple ou à la trilogie des Communardes de Wilfrid Lupano.

À ceux-ci, il faut désormais ajouter ces Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan. Ici encore, cet espoir fou, ce souffle révolutionnaire, cette irruption populaire spontanée qui marque les tournants de l’Histoire, sont parfaitement restitués, mêlé à une véritable enquête historique, méticuleusement documentée et source de multiples rebondissements qui font de cette trilogie une histoire qui tient en haleine le lecteur jusqu’au bout. Et celle-ci ménage d’ailleurs plusieurs rebondissements et un épilogue doux-amer, qu’il est préférable de ne pas mentionner bien sûr.

En plus de cette réussite narrative, Raphaël Meyssan se distingue par son traitement graphique résolument original, puisqu’il s’agit là d’une bande dessinée, avec tous les codes du genre (cases, phylactères)… qu’il n’a pas dessiné.

Uniquement basé sur la reprise de gravures originales de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle (près de 15 000 images ont ainsi été numérisées !), ces trois albums offrent une étrange sensation d’immersion et de dépaysement. Et son récit n’en demeure pas moins très dynamique et rythmé, grâce à un beau travail de mise en page et de découpage, avec des gros plans, des effet de zoom, la répétition quasi stroboscopique à différentes échelles de la même image.

Les témoignages et extraits de récits d’époque, qui forment la majeure partie des propos, inscrits dans des cartouches, voisinent avec des bulles faisant parler les personnages. Et l’ensemble est d’une étonnante fluidité. Raphaël Meyssan s’offre même quelques petits impromptus humoristiques, à la première personne en s’inscrivant lui-même ponctuellement au sein de l’histoire (comme lors d’une burlesque rencontre imaginaire avec Tardi lors de la mise à bas de la colonne Vendôme).

S’il se situe clairement du côté de ces “Damnés de la Commune”, Raphaël Meyssan multiplie les sources, notamment dans le tome 3 des témoignages et récits de versaillais. Et il n’hésite pas à pointer les aspects sombres de cet épisode révolutionnaire, livrant ainsi un brillant travail historique, à la fois très poussé, détaillé, vivant et accessible à tous.

C’qui prouve en tous cas, comme l’écrivait dans sa chanson Eugène Pottier, Qu’la Commune n’est pas morte ! Et à travers ces multiples gravures d’époque, Raphaël Meyssan lui redonne une étonnante actualité.

Daniel Muraz

 

 

(Les Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan dans « Le Courrier picard » par Daniel Muraz)