La Vie : « Un excellent documentaire sur une période méconnue de notre histoire »

Étienne Seguier a écrit un article sur Les Damnés de la Commune dans l’hebdomadaire catholique et réalisé un entretien avec Raphaël Meyssan pour le site internet du journal, publié le 23 mars 2021.

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« Les Damnés de la Commune »

La Commune de Paris n’a duré que deux mois, mais a profondément inspiré les combats du mouvement ouvrier français. Instaurée le 28 mars 1871, en réaction au gouvernement nouvellement élu au suffrage universel masculin, elle a pour but de créer une République sociale.

Ce documentaire, conçu autour de gravures de l’époque animées et réunies par l’historien Raphaël Meyssan, revient sur cet épisode. Les événements sont racontés à travers le personnage d’une jeune mère de 30 ans, Victorine Brocher, qui a réellement existé. La première partie restitue l’ambiance de la fin du Second Empire, dans les années 1860, puis suit semaine après semaine l’instauration de la Commune, à la suite de la défaite de Napoléon III contre la Prusse.

Plusieurs réformes sont votées : journée de travail de 10 heures, salaire minimum dans les services publics, séparation de l’Église et de l’État, école gratuite. Paris constitue également sa propre armée et décide d’élire ses officiers. Ce sujet montre aussi des aspects plus sombres, notamment le terrible décret des otages prévoyant que trois prisonniers soient fusillés pour un communard tué, ainsi que l’exécution de l’archevêque de Paris lors de la Semaine sanglante. L’enchaînement des gravures alternant plans larges et serrés, de même que les animations des scènes de bataille s’avèrent très plaisants à regarder. Un excellent documentaire sur une période méconnue de notre histoire, qui peut se voir avec des adolescents.


Raphaël Meyssan : la Commune gravée dans la peau

[Interview] Auteur de l’excellent documentaire « Les damnés de la Commune », diffusé le 23 mars sur Arte, Raphaël Meyssan a également signé trois bandes dessinées sur cette période méconnues de l’Histoire de France.

C’est à partir de gravures de l’époque, animées pour l’occasion, que Raphaël Meyssan a réalisé son documentaire Les damnés de la Commune, diffusé à 20 h 50 le mardi 23 mars sur Arte, puis en replay pendant trois mois sur le site de la chaîne. Une plongée passionnante, et étonnante par sa forme, au cœur de cet évènement méconnu et pourtant clé de l’Histoire de France.

Ce graphiste, de 44 ans, s’est passionné pour l’histoire de la Commune de Paris, au point de lui consacrer également trois bandes dessinées, construites à partir de gravures retravaillées (les trois tomes étant publiés à nouveau sous forme de coffret aux éditions Delcourt). Ce beau documentaire télévisé s’inspire de ces trois bandes dessinées.

Raphaël Meyssan © AlphaRé

Vous racontez les évènements clés de la Commune à travers le regard d’une certaine Victorine Brocher, qui est-elle ?

Cette femme a réellement existé. Nous la connaissons grâce à ses mémoires publiées en 1909 où elle rapporte ce qu’elle a vécu sur les barricades. Ce livre m’a bouleversé. Elle raconte son histoire avant les évènements : la misère, ses petits qui décèdent en bas âge les uns après les autres. Le dernier est mort quelques jours avant l’insurrection du 18 mars 1871.

Elle s’engage alors à cœur perdu dans un bataillon comme cantinière. Elle parvient à s’enfuir à la fin des combats et adopte des enfants de communards. Victorine a voulu transmettre ses souvenirs à ses orphelins, à ses lecteurs. Et j’avais envie de restituer à mon tour son histoire.

Plus largement, pourquoi avoir choisi d’aborder cette période peu connue de l’histoire de France ?

Précisément parce qu’elle est méconnue ! Je ne l’ai pas apprise à l’école. Je l’ai découverte quand j’avais une vingtaine d’années. J’ai été touché par l’enthousiasme révolutionnaire de cet évènement, mais aussi marqué par la répression sanglante qui s’en est suivi, et qui a fait vingt mille morts.

Dans ce documentaire animé, vous utilisez des gravures anciennes. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de procéder ainsi ?

Je rêvais de faire une bande dessinée sur la Commune, mais je ne sais pas dessiner. En me documentant sur cette période, j’ai découvert qu’elle faisait l’objet de milliers d’estampes, publiées dans les journaux et les livres de l’époque.

J’ai ainsi acquis des collections entières de journaux, français, européens et même des États-Unis. J’ai aussi acheté des livres qui parlent de la Commune, comme Les Misérables, Les mystères de Paris ou des romans illustrés d’Émile Zola.

Au final, j’ai rassemblé une collection de milliers de gravures du XIXe siècle, que j’ai par la suite numérisées. Et je me suis rendu compte qu’avec ces gravures, je pouvais raconter une histoire.

Quelles interventions effectuez-vous sur ces gravures ?

Soit je les reprends telles quelles, soit je les recadre. Je dispose parfois de croquis d’évènements précis, comme par exemple le 22 janvier 1871, quand Jules Ferry fait tirer sur la foule de Paris. Mais j’utilise aussi des dessins de la ville de Paris qui restitue l’ambiance de la vie quotidienne de l’époque, sans faire explicitement référence à la Commune.

Quelles interventions supplémentaires avez-vous dû effectuer pour aboutir à un documentaire animé ?

J’ai joué sur différents plans, en zoomant, ou en ajoutant des éléments qui bougent comme les nuages dans le ciel, des oiseaux (des hirondelles, des corbeaux) ou encore les explosions durant les affrontements.

Vous respectez avec beaucoup de précision l’enchaînement des évènements, vous êtes-vous entouré d’historien ?

Effectivement, j’ai sollicité Jean-Louis Robert qui est un spécialiste de la Commune afin que l’on puisse aussi apprendre au-delà des destins personnels, ce qui s’est passé à cette époque de manière précise. Je voulais à la fois écrire un récit qui nous emporte, avec un souffle, tout en respectant rigoureusement les faits historiques.

Vous évoquez l’assassinat de l’archevêque de Paris, et le vote de la séparation de l’Église et de l’État, mais vous vous attardez peu sur les relations entre la commune et l’Église catholique, pourquoi ?

Cela ne me semblait pas l’aspect le plus important. Les relations des communards avec l’Église sont variées et contrastées. Certains comme le journaliste Raoul Rigault sont violemment anticléricaux et prêts à tous les excès. D’autres, comme Charles Lavalette, figure du mouvement, ont secouru des religieux face à ces excès. Il a libéré plusieurs personnes, faites prisonnières dans une église, et empêché que le trésor de Notre-Dame soit saisi.

De leur côté certains catholiques ont participé avec zèle au massacre de la Semaine sanglante, tandis que d’autres, horrifiés par ces crimes, ont décidé d’aider des communards à se cacher. C’est d’ailleurs grâce à un prêtre et un évêque que Lavalette a réussi à fuir Paris et à se réfugier en Suisse.

C’est le 150e anniversaire de la commune, quel message peut inspirer notre époque ?

Ses partisans ont cherché à promouvoir l’idée d’une République plus démocratique, à laquelle nombre de nos contemporains aspirent encore aujourd’hui. Une façon pour les citoyens de ne pas se contenter de confier le pouvoir à des élus au moment des élections, en constatant qu’ils ont pour beaucoup trahi leurs engagements. La commune montre qu’une participation plus active de la population entre les votes est possible.

(Lire sur le site de La Vie)