Archivistes ! : entretien avec Raphaël Meyssan

Dans un entretien avec le journal de l’Association des archivistes français (AAF) de janvier-mars 2018, je parle du rôle central des archives dans l’écriture et la narration des Damnés de la Commune.

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Les Damnés de la Commune
À la recherche de Lavalette

Entretien avec Raphaël Meyssan

Quel est votre parcours ?

Les Damnées de la Commune est ma première bande dessinée. J’ai fait des études de sciences politiques à l’université de Saint-Denis et je suis graphiste depuis une quinzaine d’années. Comme graphiste, j’ai toujours cherché à travailler avec des personnes qui ont des choses à dire et non à vendre. Parmi ces personnes, il y a des artistes, des universitaires… et beaucoup d’archivistes. Au contact des archivistes, j’ai découvert leur passion et je l’ai partagée.

Comment est né ce projet ?

Ce projet est né grâce à la fréquentation des archivistes. J’avais envie de faire quelque chose sur la Commune de Paris. Cette histoire tragique m’avait marqué. Le fait qu’elle s’inscrive dans ma ville, dans mon quartier, lui donnait chair. Lorsque j’ai découvert, par hasard, qu’un communard avait vécu dans mon immeuble, j’ai eu envie d’en savoir plus. Et, après des années aux côtés d’archivistes, je ne me suis pas posé de questions : j’ai filé aux archives ! De fil en aiguille, le livre est devenu une enquête dans les archives.

Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage ?

Le livre commence par l’enquête que le narrateur mène dans les archives pour découvrir la vie de Lavalette, son voisin communard. Puis, il rencontre le témoignage de Victorine, une autre communarde, dont le récit le bouleverse et l’accompagne tout au long de sa quête. À travers les vies de Lavalette et de Victorine, il découvre l’histoire de la Commune de Paris. Ce premier livre raconte les années qui ont conduit à l’insurrection du 18 mars 1871. Il sera suivi par deux autres pour former un grand récit, une épopée, l’épopée des communards.
Outre cette enquête dans les archives, cette bande dessinée a une autre particularité : elle n’est pas réalisée avec des dessins que j’ai fait moi-même, mais exclusivement avec des gravures de l’époque de la Commune. C’était un immense défi : comment raconter une histoire, construire une œuvre cohérente avec des gravures réalisées par des artistes différents et publiées dans des journaux et des livres variés ? Il me fallait trouver assez de gravures pour pouvoir raconter une histoire sur trois livres de près de cent cinquante pages chacun. J’ai passé des années à collecter la matière iconographique, dans des vides-greniers, des brocantes, des librairies spécialisées en livres anciens… J’en ai fait venir de Suisse, de Londres, des États-Unis… Et, petit à petit, je me suis inventé mon propre mode d’expression, moi qui ne sais pas dessiner. J’ai fait une œuvre qui est vraiment personnelle, mais qui est aussi une œuvre composite, réalisée avec des artistes qui ont vécu il y a un siècle et demi.

Pourquoi avoir eu recours aux archives et quelles conséquences cette fréquentation a-t-elle eues sur votre travail ?

Le point de départ de mon histoire a été la découverte de ce voisin communard. J’ai d’abord cherché ce qui avait été écrit à son sujet, mais c’était très pauvre. J’ai surtout trouvé une petite notice dans Le Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. En bas de la notice, il y avait des pistes qui m’ont conduit aux Archives nationales, aux archives de la préfecture de police de Paris, aux archives historiques de la Défense… Après, on se laisse prendre au jeu. La découverte de chaque document qui raconte un bout de l’histoire est un grand moment de joie. On est dans une salle de lecture, parmi des chercheurs qui étudient dans le plus grand calme, au milieu du silence… et on exulte intérieurement ! C’est un jeu de piste exaltant !
Mais, un jour, il faut savoir s’arrêter pour passer à une autre phase : celle de l’écriture du récit. Et, là, j’ai à nouveau fait un choix important : celui de ne pas romancer, de ne pas inventer. J’ai décidé de m’en tenir aux informations que j’avais trouvées dans les archives et de ne rien ajouter d’autre. C’est pourquoi j’ai mis en scène ce personnage du narrateur-enquêteur. Les archives sont devenues pour lui ce que sont les preuves pour dans une enquête policière. Mon personnage central est Lavalette, il donne d’ailleurs son nom à ce premier tome : À la recherche de Lavalette. Mais c’est un héros invisible. Il fonctionne de la même manière que le meurtrier dont on recherche l’identité dans une enquête policière. Dans cette enquête, on ne cherche pas le meurtrier, mais le héros.
Les archives sont parcellaires. Elles racontent l’histoire de manière incomplète. Je n’ai pas cherché à combler les blancs. J’ai, au contraire, utilisé ce manque comme ressort narratif. L’archive et l’absence d’archive sont devenues la matière du récit.

Voir le site de l’Association des archivistes français (AAF)