Le Littéraire : « Raphaël Meyssan signe une trilogie remarquable »

Une critique de Serge Per­raud sur Les Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan, le 23 mai 2020

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Une relation peu banale de la Commune de Paris

Le narrateur, en l’occurrence Raphaël Meyssan lui-même, découvre dans un livre à la Bibliothèque historique de la ville de Paris qu’un acteur de la Commune habitait, il y a 150 ans, au 6 rue Lesage à Belleville, au même endroit que lui. Il a alors l’idée de rechercher des éléments sur la vie de ce Lavalette dans les archives de la ville de Paris, de la police et de l’armée. Il restitue méticuleusement la vie de ce Communard, qui a joué un petit rôle dans l’insurrection mais que l’Histoire a oublié.

Pour faire vivre cette période de tension extrême du samedi 18 mars au dimanche 28 mai 1871, il propose de suivre, outre Lavalette, Victorine, une modeste parisienne. Mariée à Orléans, elle et son mari sont montés dans la capitale. Elle vient de perdre son garçon de sept ans. Elle dit la misère du peuple, l’alcoolisme de son époux…

Raphaël Meyssan consacre trois tomes à ce récit. Après la description des circonstances qui amènent l’auteur à s’intéresser à cette Commune (À la recherche de Lavalette — Delcourt, 2017), après un album consacré aux batailles que mènent les Parisiens contre deux armées, celle des Prussiens et celle des Versaillais (Ceux qui n’étaient rien – Delcourt, 2019), l’auteur propose de conclure avec ce qui fut appelé La Semaine sanglante qui signa la fin de ce mouvement inédit.

À travers les parcours de ses héros, l’auteur relate jour par jour, parfois heure par heure, les événements les plus significatifs du soulèvement, les avancées démocratiques et sociales, la violente répression par les autorités. La Commune de Paris se termine dans des flots de sang. Dans Les orphelins de l’histoire Raphaël Meyssan raconte l’épisode final. L’album s’ouvre sur la destruction de la colonne Vendôme que des Communards ont décidé d’abattre car, à leurs yeux, elle représente le symbole des guerres.

Raphaël Meyssan introduit une belle dose d’humour quand il fait reconnaître, parmi la foule rassemblée pour l’événement, Jacques Tardi, un dessinateur lyonnais contemporain qui a fait une bande dessinée sur le sujet. Et puis c’est la description de cette semaine sanglante où l’armée prend possession de chaque quartier, fusille à tout va, installe dans l’urgence des tribunaux qui déportent à tour de bras.

Les militaires exécutent sommairement les hommes, les femmes et même les enfants. Les corps sont enterrés sur place, un peu partout. Des procès bâclés condamnent à la prison, des cellules si insalubres que les détenus meurent de fièvre typhoïde ou du scorbut. Cependant, certains peuvent se réfugier à Genève, en Grande-Bretagne, en Belgique ou aux Pays-Bas.

Deux narrations cohabitent au sein des planches. Dans des cartouches de couleur crème l’auteur décrit sa démarche, ses recherches, les difficultés à trouver les informations et livre ses réflexions quand à la situation, compare les deux époques. Dans des cartouches blancs, il raconte l’histoire des participants à la révolte, leurs pensées, leurs attitudes, leurs attentes. Il place, lorsque nécessaire, des dialogues dans des bulles.

On retrouve les grands événements, les individus de premier plan, ceux dont l’Histoire a retenu les personnalités, les faits. Mais, la narration s’attache également à la vie des Sans-grades, des Obscurs, des Invisibles. Ce qui surprend, étonne, séduit, est la forme graphique retenue. Toute l’histoire est illustrée à partir de gravures issues de journaux, revues, livres du XIXe siècle, en noir et blanc.

Celles-ci sont réajustées, recadrées, découpées, striées, disposées de telle manière qu’elles initient le mouvement. Ces gravures confèrent une authenticité au récit. Certaines sont, toutefois antérieures à 1871, comme cette superbe vue de Paris avec Notre-Dame au premier plan. La flèche construite par Eugène Viollet-le-Duc, et inaugurée en 1859, est absente. Mais, l’atmosphère est rendue, l’immersion est totale, et c’est l’essentiel.

Avec Les Damnés de la Commune, Raphaël Meyssan signe une trilogie remarquable tant par la teneur de ses propos, le détail des événements que sa présentation graphique exceptionnelle.

Cette trilogie est une belle idée de cadeau pour tout amateur de beaux ouvrages.

Serge Perraud

 

 

(Les Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan dans « Le Littéraire » par Serge Perraud)