Charlie Hebdo : « Un film splendide, porté par l’intelligence du cœur »

Yannick Haenel a écrit une belle critique du film Les Damnés de la Commune dans Charlie Hebdo du 12 mai 2021.

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La Commune de Paris : bataillon des enfants perdus

« L’histoire officielle consiste à croire les meurtriers sur parole » : je pense beaucoup à cette phrase cinglante de la philosophe ­Simone Weil, parce que la Commune a pile cent cinquante ans et que sa commémoration actuelle me fait doucement rire. Entendre des responsables politiques français se gargariser à propos d’une révo­lution dont ils ne cessent chaque jour d’enterrer les principes donne envie de vomir. On sait que l’Histoire est toujours racontée par les vainqueurs, en l’occurrence les fossoyeurs de la Commune  ; mais aujourd’hui, comme au printemps 1871, la politique continue à exercer sa domination sur chacun de nous en nous spoliant du droit à disposer de notre liberté. La « démocratie » n’est jamais qu’un mensonge tant qu’elle n’est pas « directe ».

Alors regardez sur le site d’Arte Les Damnés de la Commune (­gratuit et disponible jusqu’au 19 août). C’est un film splendide, porté par l’intelligence du cœur et la justesse de l’intensité. Il est réalisé par Raphaël Meyssan d’après son roman graphique, pour lequel il a collecté des milliers de gravures d’époque : ainsi vivons-nous à l’intérieur du Paris de 1870, soulevés par les voix de la rue.

Victorine, crieuse de journaux, porteuse de pain, rejoignant pendant la guerre les fédérés comme ambulancière du bataillon des ­Enfants perdus, raconte : « Ils nous ont effa­cés de l’Histoire, nous les 20 000 morts, nous les 40 000 prisonniers. » Elle rapporte comment, en 1870, le gouvernement, en affamant les pauvres, en les entassant dans les faubourgs, fait de Paris un paradis pour les riches et détourne la colère populaire vers un ennemi extérieur en déclarant la guerre aux Prussiens. Mais avec la défaite de Sedan, ce calcul tourne au désastre : pour résister, le peuple se fédère, la République est proclamée. Le gouvernement se retourne alors contre le peuple et pour rétablir l’ordre veut livrer Paris aux Prussiens.

Le récit de Victorine de ces jours d’infamie politique et d’insurrection populaire est douloureux et passionnant : du soulèvement du 18 mars à la « semaine sanglante » qui s’acheva le 28 mai par le massacre des insurgés en plein Paris, elle narre une expérience de naissance de la démocratie (égalité hommes-femmes, revenu universel, séparation des Églises et de l’État, économie coopérative) immédiatement liquidée par Thiers et les dominants.

L’analyse des événements de 1871 est limpide : les politiciens ne visent qu’au maintien des inégalités. La France a préféré se donner à l’ennemi plutôt qu’au peuple : la collaboration plutôt que le communisme. C’est l’infect destin bourgeois de la France, qui a toujours préféré les riches aux pauvres, et qui, depuis deux siècles, aura consciencieusement mis à mort les ouvriers, méprisé le peuple et transformé la classe moyenne en esclaves économiques.

Yannick Haenel

(Lire l’article sur le site de Charlie Hebdo)