Bruce Lit : « Cette BD est l’œuvre la plus originale que j’ai lue ces 15 dernières années ! »

Patrick Faivre a écrit une critique très précise et documentée des Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan sur, le blog BD, le 18 mai 2018

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Une BD peu Commune ! (Les Damnés de la Commune)

Cette BD est de loin l’œuvre la plus originale que j’ai lue ces 15 dernières années !

Par son thème tout d’abord, les œuvres sur la Commune (la révolution de 1871) ne sont pas si courantes que cela après tout ! La dernière en date est, à ma connaissance, celle de Tardi Le Cri du peuple.

Ensuite visuellement parlant l’ouvrage est tout simplement époustouflant ! Entièrement basé sur des illustrations du XIXe siècle, l’œuvre mélange témoignage historique et enquête policière...

Tout commence donc par un homme, Raphaël Meyssan, graphiste de profession, qui découvre un jour que l’immeuble dans lequel il réside (à Belleville) a eu pour habitant un célèbre inconnu : Gilbert Lavalette ! Bon OK, le nom ne vous dira probablement rien (pas plus qu’à moi d’ailleurs) et pourtant il fut l’une des figures de proue de la Commune ! L’histoire étant écrite par les vainqueurs son nom fut effacé de l’Histoire et il finit par tomber dans l’oubli...

Peu à peu, Raphaël Meyssan devient fasciné par cet homme et par l’idée que l’Histoire (avec un grand H) se soit passée sur le pas de sa porte (au sens premier du terme). Il s’empare alors du destin de Lavalette, retrace son histoire, après une enquête aussi minutieuse que difficile, et décide d’en faire une BD !

Seul problème : l’auteur ne sait absolument pas dessiner ! (Ce qui est quand même assez ballot quand on veut faire une BD il faut l’avouer.) Vous me direz, qu’à cela ne tienne, il n’a qu’à faire appel à un dessinateur ! Mais non l’auteur ne l’entend pas de cette oreille ! Il tient absolument à ce que cette histoire reste SON œuvre et ne peut admettre que quelqu’un d’autre n’y mette son nez ! À partir de là, une seule solution s’impose à lui : puisqu’au cours de son enquête sur Lavalette il a amassé une quantité impressionnante de documents (notamment des milliers de gravures parues dans des journaux d’époque ou dans des livres), il décide donc de les assembler pour illustrer le fil de son histoire. Ici commence son travail de titan (ou de fourmi au choix) : numériser plus de 15 000 gravures, les classer chronologiquement, les redimensionner et finalement les intégrer à son histoire ! Cette tâche ne lui prendra pas moins de 6 ans de sa vie !

Ce qui aurait pu être un résultat aussi fastidieux que rebutant à lire, grâce au talent de conteur de Meyssan, devient tout à fait léger et aérien. Servi par un très beau noir et blanc, l’auteur utilise des cadrages très variés et dynamiques ainsi qu’un découpage savant donnant une réelle impression de mouvement. Le travail du graphisme est tout simplement impressionnant.

Les images collent si bien à l’histoire qu’avant d’écrire cet article j’étais convaincu que des dessins originaux se glissaient malgré tout dans ce recueil. Mais non, il n’en est rien, toutes les illustrations datent du XIXe siècle ! (Les sources de toutes les gravures sont du reste indiquées dans les dernières pages du recueil.)

L’auteur prend le contrepied du Cri du peuple, puisque pour Tardi il s’agissant avant tout de raconter une histoire romanesque ayant pour cadre historique la Commune de 1871. Meyssan lui au contraire se raconte lui-même enquêtant sur le Paris post-Second Empire. Ainsi donc sa démarche est à mi-chemin entre le documentaire historique et le jeu de piste.

Le quotidien des protagonistes est parfaitement rendu. On ressent la frustration et la colère des Parisiens de voir leur belle ville assiégée par les Prussiens, ainsi que la famine qui les frappe durement. La réalité du marché noir est à ce titre très bien retranscrite, notamment avec l’anecdote du lait coupé avec de l’eau et... du plâtre ! Une scène qui ne manquera pas de se reproduire 70 ans plus tard alors que Paris est à nouveau envahi par les Allemands !

Du reste, puisque l’on en parle, collant avec la réalité historique, l’auteur souligne à juste titre qu’en déclarant la guerre à la Prusse en 1870, Napoléon III mit involontairement en marche les pires horreurs du siècle : « Bientôt l’humiliante déroute [de 1870] poussera les Français à prendre leur revanche et à se jeter la fleur au fusil dans la Première Guerre mondiale. La défaite de 1918 conduira les Allemands vers les horreurs de la Seconde Guerre mondiale... »

Les trois personnages principaux de l’histoire sont tout d’abord Lavalette, un gazier Bellevillois, membre du Comité central de la garde nationale qui fut aux sources de l’insurrection.
Il y a ensuite Victorine dont nous suivons le destin funeste (ses deux enfants meurent tragiquement). C’est une communarde connue grâce à son livre de mémoire publié en 1909.
Et enfin il y a le narrateur lui-même, Raphaël Meyssan, qui, à 150 ans de distance, s’implique totalement dans cette histoire, au point d’en devenir partie-prenante.

Du reste qu’on ne s’y trompe pas, l’auteur n’est nullement un historien, il raconte les événements de la Commune avec passion, mais de manière forcément partiale.
Il ne faut donc pas attendre de cet ouvrage un regard particulièrement critique sur la Commune (dans ce premier volume elle est abordée avec une extrême bienveillance). Ce regard « impliqué » n’est cependant nullement gênant, sauf lorsque cela conduit l’auteur a certains raccourcis historique, comme par exemple lorsqu’il va chanter « L’Internationale » le poing levé devant la tombe de Lavalette. La Commune a certainement servi d’inspiration à Karl Marx, pour autant les points communs s’arrêtent là et la révolte Parisienne ne peut pas assimilé au communisme.

Bon, puisqu’on est au rayon défaut, restons-y. (Je ne peux pas non plus passer tout mon article à dire que cette BD est un chef d’œuvre ! Même si c’est le cas. Qui aime bien châtie bien comme on dit.)
La forme même de ce livre (uniquement constitué d’illustrations d’époque) conduit à une certaine dépersonnalisation de l’histoire, on ne voit jamais les protagonistes qui ne sont présent que dans les cases de textes. Ce qui les rend plus difficilement « aimable ». Cette BD est plus cérébrale qu’incarnée.

Par ailleurs les passages contemporains, ceux où l’auteur part à la recherche d’information sur Lavalette (aux Archives notamment), sont eux aussi illustrés par des gravures du XIXe siècle. Il faut donc au lecteur fournir un effort de concentration pour déterminer à quelle époque l’action se passe !
Cependant si le lecteur est décontenancé dans les premières pages, il s’habitue assez vite à cette gymnastique intellectuelle.

Bref, ne pinaillons pas, le plaisir de cette lecture est certain et l’immersion totale. Mêlant atmosphère tragique et réalité historique (on sent bien la monté de tensions dans la poudrière qu’est devenue Paris) l’auteur parvient à surprendre autant qu’à captiver son lecteur.

Le livre se termine le 18 mars 1871, soit le premier jour de l’insurrection. Après ce volume consacré aux prémices de la Commune, on attend avec impatience la suite de cette histoire pleine de bruit et de fureur, mais au combien captivante ! À suivre...

Patrick Faivre

Comment faire une bande dessinée sur la Commune de Paris quand... on ne sait pas dessiner ? Raphaël Meyssan a la réponse : compiler et assembler des gravures de l’époque pendant six ans et accoucher d’un album ludique et original que Patrick Faivre vous fait découvrir chez « Bruce Lit ».

(Lire la critique de Patrick Faivre sur Les Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan sur Bruce Lit)