L’Humanité : « “Les Damnés de la Commune” répare une injustice mémorielle »

Une belle critique du film par Laurent Etre, dans le quotidien du 23 mars 2021.

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La Commune par la voix du peuple

De ses romans graphiques, parus chez Delcourt, Raphaël Meyssan a fait un documentaire, diffusé sur Arte. En résulte une incroyable immersion dans le Paris insurrectionnel, entièrement réalisée à partir de gravures d’époque autour du récit de la communarde Victorine Brocher.

Le 28 mars 1871, dix jours après le début de l’insurrection, la Commune de Paris est proclamée. Elle tiendra deux mois et, avant d’être écrasée dans le sang par les troupes d’ Adolphe Thiers, initiera quelques grandes réformes, à commencer par la séparation de l’Église et de l’État. Uniquement construit à partir de gravures originales, celles-là mêmes que le réalisateur, Raphaël Meyssan, a déjà mises en valeur par ses romans graphiques (Delcourt), ce documentaire est remarquable à plus d’un titre. D’abord, pour son parti pris esthétique.

« Je voulais éviter le documentaire classique, à base d’archives. Je voulais au contraire entraîner le téléspectateur dans une grande aventure. Je me suis saisi du matériau des gravures comme une iconographie dans laquelle on se plonge pour accéder à l’atmosphère de toute une époque. Il fallait ensuite relever le défi de l’animation, redonner vie à ces vieilles images, ce que nous avons fait avec le studio Miyu. C’est le fruit d’un travail de sept mois », explique Raphaël Meyssan.

Sur le fond, le film replace parfaitement l’événement dans son contexte : cette deuxième moitié du XIXe siècle marquée par l’ industrialisation, un aiguisement de la lutte des classes, et, pour ce qui est de la capitale, une métamorphose haussmannienne dont les plus pauvres, refoulés en périphérie, font les frais.

La guerre que Napoléon III déclare à la Prusse en juillet 1870 est bien restituée dans sa véritable finalité, à savoir le détournement de la colère sociale vers un ennemi extérieur. Les lâchetés du gouvernement provisoire, une fois la République proclamée dans la débâcle, sont narrées avec force, en mettant l’accent sur le sentiment de trahison qui croît au sein des masses laborieuses, meurtries par le siège de Paris par les Prussiens.

Avec pour fil conducteur le récit d’une communarde, Victorine Brocher (par la voix de l’actrice Yolande Moreau), le film adopte le point de vue du peuple en armes, celui des faubourgs, de Belleville et Montmartre, porté par l’idéal de la République sociale, ce peuple massacré (20 000 exécutions lors de la « semaine sanglante », 40 000 prisonniers) et dont le souvenir est encore trop souvent frappé d’ostracisme.

Injustice mémorielle

Les Damnés de la Commune répare ainsi une injustice mémorielle et nous remet surtout en proximité avec une convergence inédite d’idées libertaires, communistes et sociales-républicaines

On découvre, ou redécouvre, les grandes figures, Louise Michel, Auguste Blanqui, bien sûr, mais également des personnages peut-être moins connus, tel Léo Frankel, délégué au travail, proche de Marx.

On se retrouve immergé au cœur de débats passionnés, sur le sens de l’idéal républicain, la façon de faire vivre l’héritage de la révolution de 1848 , la pratique d’une démocratie directe…

Afin de prolonger la rencontre avec l’œuvre de Raphaël Meyssan, plusieurs expositions sont prévues à Paris, notamment « Les damnés de la Commune, sur les traces d’une révolution », sur les murs du pavillon Carré de Baudouin (dans les rues de Ménilmontant et des Pyrénées), à partir du 27 mars et jusqu’à la fin août. À voir et à revoir, sans modération.

Laurent Etre

 

(Lire l’article sur le site de L’Humanité)