Zibeline : entretien avec Raphaël Meyssan sur la Commune de Paris de 1871

Le mensuel culturel du Sud-Est consacre deux belles pages aux Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan dans son numéro de mai 2018

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Raphaël Meyssan raconte la Commune de Paris en BD

Pour graver enfin la Commune

L’objet est superbe quant à sa forme et sa qualité. Documenté, fascinant... et ce n’est que le tome 1 !

Cette BD réinvente sa forme : Raphaël Meyssan a collecté des gravures et des dessins de 1870 et 1871 pour nous raconter une histoire. Celle de Lavalette, son voisin au 6 rue Lesage à Paris en 1870. Il se lance sur ses pas, le recherche, retrouve sa trace dans les meetings politiques qui agitaient la fin du Second Empire dans tout Paris, et surtout le Paris populaire de Belleville. Le présent surgit parfois comme un autre personnage. On croise aussi l’histoire de Victorine, une inconnue dont le destin avec ses enfants pendant la famine de l’hiver 1870 nous prend aux tripes. Mais l’autre héroïne n’est jamais absente, cette Commune qui prend naissance et dont on suit l’inexorable gestation.

 

La Commune de Paris 1871 (18 mars-28 mai) dans le journal Zibeline

 

Rencontre avec l’auteur.

Zibeline : Pourquoi ce livre sur la commune ?

Raphaël Meyssan : La Commune est une histoire qu’on n’apprend pas à l’école ; ce n’est pas une histoire officielle, et quand on la connaît on la porte en nous, on se l’approprie, on la cultive comme un jardin secret.

Pourquoi ne l’apprend-on pas à l’école d’après vous ?

Eh bien c’est une évidence : les Communards ont perdu et juste après il y a une République de l’ordre qui s’est mise en place. Et l’Histoire c’est l’histoire des vainqueurs, et les vainqueurs ne se sont pas trop vantés d’avoir massacré 20 000 citoyens français. Mais c’est une histoire que l’on se transmet dans certaines familles.

Mais du fait de cette transmission privée, ne véhicule-t-on pas des mythes ?

Si, si, plein ! C’est une histoire qui est idéalisée ! Mais j’ai évité ces mythes dans le livre, en travaillant uniquement sur des documents d’époque. C’est pour ça que je ne parle pas beaucoup de Louise Michel, la seule figure que l’on connaît de la Commune. Louise Michel est souvent présentée comme une sainte, c’est la « Vierge Rouge ». Dans le livre, je m’intéresse à des anonymes, des personnages complexes dans leur faiblesse et leur courage, tous ces personnages que j’ai rencontrés dans mes recherches, dans les 15 000 documents que j’ai numérisés.

Tant que ça ? Mais combien de temps cela vous a pris ?

Ce livre, c’est six ans de travail, de recherches, dans les bibliothèques, les archives. J’ai rencontré les éditions Delcourt au bout de cinq ans et demi. Jusque là, c’était un projet autofinancé.

Quelle a été votre plus grande découverte sur la Commune dans vos recherches ?

Les guerres ! Les prétextes des gouvernants pour faire les guerres. La dépêche d’Ems de 1870, c’est un peu l’intox des armes de destructions massives de la guerre en Irak. La paix à tout prix, la capitulation face aux Prussiens avec l’abandon de territoires et de population d’Alsace-Lorraine, l’humiliation qui sera l’étincelle de la Commune ; ça c’est un peu Munich...

Entretien réalisé par Régis Vlachos

Les Damnés de la Commune, tome 1 À la recherche de Lavalette, de Raphaël Meyssan, éditions Delcourt, 145 pages, 23,95 €.

 

La Commune de Paris 1871 (18 mars-28 mai)

C’est un des évènements les plus importants de l’histoire de France : une révolution ouvrière qui pouvait l’emporter et le plus important massacre d’un peuple par son gouvernement, débouchant sur « la république de la honte » [1].
Juillet 1870 : le Second Empire vacille, le peuple veut accéder à la décision politique. Alors pour détourner la contestation politique intérieure on la dirige vers un ennemi militaire extérieur, la Prusse, avec le prétexte de la succession au trône d’Espagne et la fameuse dépêche d’Ems. La France est battue, Napoléon III est fait prisonnier.
Le peuple en colère envahit l’Assemblée nationale le 4 septembre et la République est proclamée. Un gouvernement dit « de la Défense nationale » se constitue, composé de républicains. On recrute près de 600 000 gardes nationaux parmi le peuple pour défendre la capitale. Mais ce gouvernement qui veut à tout prix faire la paix, est prêt à abandonner la France aux Prussiens, comme le maréchal Bazaine qui livre près de 200 000 hommes à Metz aux Prussiens sans se battre.
Le peuple armé veut pourtant combattre, malgré le siège et le blocus de Paris pendant l’hiver 70-71 ; et malgré la famine. La Prusse victorieuse exige des élections parlementaires en dix jours en France pour signer l’armistice : près de 500 monarchistes et 100 républicains sont élus. Thiers est nommé chef de l’exécutif. De fait, monarchistes et républicains ont le même objectif : traiter avec les Prussiens pour conjurer la révolte populaire. Le 26 janvier l’armistice est signé, armistice humiliant avec cinq milliards de francs de dédommagement de guerre et la perte de l’Alsace et de la Lorraine. Le 18 mars Thiers veut retirer les canons de la garde nationale sur la Butte Montmartre...
C’est alors que le peuple se soulève. Le gouvernement et l’Assemblée se réfugient à Versailles, ville des rois. La Commune de Paris va très rapidement mettre en place des mesures révolutionnaires et sociales dans un contexte d’hostilité et d’attaque du gouvernement versaillais. Mais plus soucieuse de justice sociale et de démocratie directe que d’organisation militaire, elle laissera Thiers négocier encore avec les Prussiens pour constituer une armée endoctrinée. Celle-ci entrera dans Paris le 21 mai et massacrera près de 20000 Parisiens jusqu’au 28 mai, en une semaine, la Semaine sanglante.
R.V.

[1L’expression est de l’historien Pierre Miquel au sujet de la Troisième République.