L’Humanité Dimanche : « Rigueur historique, engagement politique, puissance graphique, complexité narrative et intensité dramatique »

Les Damnés de la Commune sont sélectionnés pour le prix Bulles d’Humanité de la bande dessinée citoyenne. L’Humanité Dimanche publie les premières pages du troisième tome et un très bel article de Jean-Michel Dupont, le 2 juillet 2020

Imprimer Partager sur Facebook Partager sur Twitter

Les Damnés de la Commune :
Enfin graver l’immense bûcher

Un jour, Raphaël Meyssan découvre qu’un certain Gilbert Lavalette, figure de la Commune oubliée aujourd’hui, a vécu dans son immeuble, rue Lesage, à Paris, dans le 20e arrondissement. Dès lors, il décide de partir sur ses traces, que l’histoire a effacées, pour reconstituer son itinéraire pendant les événements et connaître le sortque lui a réservé le destin.

C’est de cette quête qu’est née la trilogie des Damnés de la Commune, qui s’achève de manière aussi terrifiante que sublime avec cet ultime épisode consacré à la Semaine sanglante, au cours de laquelle 20 000 communards furent massacrés par les Versaillais. Comme pour les précédents tomes, Raphaël Meyssan y résout un problème insoluble (comment faire une BD sans savoir dessiner ?) en utilisant ses talents de graphiste pour illustrer son récit avec des milliers de gravures d’époque patiemment dénichées et mises en cases.

Cette fois, le défi était encore plus risqué, puisqu’il s’agissait de restituer la dimension spectaculaire des combats avec le fracas des fusils et la sinistre beauté d’un Paris en flammes. Ce défi, grâce à son art du récit et à sa science de la mise en pages, Raphaël Meyssan le relève brillamment, et même au-delà, puisque, à l’impeccable reconstitution historique, s’ajoute pour le lecteur l’illusion d’être immergé dans ce chaos.

ÉTERNEL PRÉSENT

Une impression de vérité que l’on doit aussi à Victorine, une communarde anonyme dont les souvenirs authentiques consignés sur le vif servent de fil rouge au récit, en contrepoint de l’enquête sur Lavalette narrée par l’auteur lui-même.

Des souvenirs qui prennent aux tripes quand, avec une plume aussi précise que sensible, Victorine relate en détail les horreurs subies par les insurgés. Avec ce personnage, autant qu’avec l’énigmatique Lavalette, Raphaël Meyssan s’inscrit dans cette volonté, prisée par les historiens d’aujourd’hui, de redécouvrir notre passé par le prisme des gens simples, plutôt que par celui des grands hommes (ceux dont les statues sont si solidement boulonnées) qui peuplent la mémoire collective. Et en suivant les traces de Lavalette autant que les pérégrinations de Victorine, on réalise combien cette approche nous délivre d’un passé poussiéreux et figé pour lui substituer une sorte d’éternel présent, plus proche de nous.

Un éternel présent justement évoqué dans cette étrange parenthèse que Raphaël Meyssan consacre, en plein cœur des combats, à L’Éternité par les astres, ouvrage visionnaire écrit en prison par le révolutionnaire Auguste Blanqui – réputé pour son pragmatisme –, dans lequel il devance les théoriciens de la physique quantique ou autres auteurs de science-fiction en émettant l’idée que notre monde, autant que ceux qui le peuplent, possède une infinité de répliques qui évoluent dans l’Univers, au-delà de l’espace et du temps.

Une curiosité qui ajoute une dimension poétique et métaphysique à ce troisième tome des Damnés de la Commune, pourtant déjà riche en facettes avec sa rigueur historique, son engagement politique, sa puissance graphique, sa complexité narrative et son intensité dramatique. Sans oublier l’humour, une audace de plus qui, dans ce contexte, aurait pu paraître incongrue, mais qui parvient à sonner juste. Par exemple, quand, tel un voyageur du temps, Raphaël Meyssan se projette lui-même parmi les communards et que l’un d’entre eux croit le reconnaître en le confondant avec Jacques Tardi ! Un clin d’œil au Cri du peuple qui était, jusqu’à il y a peu, la seule référence sur le sujet en matière de bande dessinée, avant que ne paraisse cette flamboyante trilogie.

Jean-Michel Dupont